Depuis de nombreuses années, le marché mondial de la bière connaît une forte expansion, tant en volume qu’en valeur. Cette croissance de la demande a entraîné à la fois une augmentation du nombre de brasseries et une plus grande diversité de styles de bière. Parmi ces styles, l’un d’entre eux ressort de manière significative dans le monde entier : les bières sans alcool et à faible teneur en alcool (NAB-LAB).

Un marché plus vaste offre un panel de consommateurs plus large avec des attentes et des envies différentes. Les bières à faible teneur en alcool sont apparues pour répondre à un besoin qui n’existait que peu auparavant. D’ailleurs, un segment entier de consommateurs a grandi avec cette éducation autour du bien-être, du « bien-manger » et maintenant du « bien-boire ». Les nouveaux consommateurs de bière accordent une attention particulière à l’apport calorique du produit, ont une connaissance accrue des avantages d’un produit pour la santé et souhaitent consommer des produits locaux si possible. Ce n’est pas forcément prouvé pour ce qui est du troisième point, mais le faible en alcool répond aux deux premiers points de cette tendance de consommation : dans l’esprit du consommateur, moins d’alcool implique moins de sucre et un meilleur impact sur la santé, et en général l’alcool a une connotation négative. Tous les autres facteurs étant égaux, notamment le goût et le prix, il ne fait aucun doute que pour ce type de consommateur, la bière à faible teneur en alcool est une alternative viable à la « bière classique ». D’une manière générale, nous pouvons rapprocher cette tendance du faible teneur en alcool aux tendances du « sans » : sans additifs, sans gluten et sans alcool.

À ces nouveaux consommateurs, nous devons ajouter ceux qui ont toujours recherché des bières à faible teneur en alcool. Pour des raisons de santé, comme pendant la grossesse par exemple, ou pour des convictions religieuses. Bien que ce besoin ait toujours existé, il s’est intensifié au cours des dernières années, la bière étant depuis devenue un phénomène de société. Le consommateur, désireux de faire partie de la société, veut consommer un produit à la mode. Le produit doit donc s’adapter à ce dernier et lui donner cette possibilité. C’est ce qui explique la montée en flèche des bières à faible teneur en alcool.

Bien que la demande soit assez récente, il faut remonter très loin pour trouver l’origine des bières à faible teneur en alcool. Nous sommes en 1920, aux États-Unis, période de la prohibition : la Constitution interdit de produire, de transporter, d’importer et de vendre de l’alcool, de façon à réduire la criminalité et la corruption dans le pays. De 1919 à 1933, cette loi oblige les brasseries à se réinventer pour survivre. Les bières à faible teneur en alcool voient alors le jour !

Même si ce style est apparu sous la contrainte, aujourd’hui c’est réellement le choix du brasseur de produire des bières sans alcool ou à faible teneur en alcool pour répondre à la demande croissante. En optant pour ce style particulier, la question du processus se pose : comment un brasseur peut-il réduire considérablement la quantité d’alcool sans modifier le processus de production ? La levure étant la clé de la production d’alcool, il était de notre devoir d’aider les brasseurs. Il a été demandé à Fermentis de mettre au point une solution.

Tout d’abord, nous avons dû effectuer un travail de criblage parmi toutes les souches que nous connaissions, un travail de longue haleine pour sélectionner celles qui pourraient correspondre à nos critères de recherche : des critères techniques, mais aussi sensoriels, pour répondre aux besoins des brasseurs. Simon Jeanpierre, Responsable Technique Support Ventes pour l’Asie-Pacifique, nous en dit plus à ce sujet : « Pour effectuer notre premier criblage, notre objectif était de répertorier les souches Saccharomyces et non-Saccharomyces capables de produire peu d’alcool. Pour affiner cette liste, nous avons recherché des micro-organismes également capables de reproduire autant que possible les saveurs attendues de la bière, telles que nous les connaissons. Cela nous a naturellement conduits à une souche maltose-négative, incapable de fermenter les sucres complexes (c’est-à-dire les polymères du glucose), avec néanmoins une forte capacité à produire des alcools supérieurs, des esters et des phénols, participant aux arômes de la bière. »

Pour comprendre notre décision de choisir des souches maltose-négatives, il suffit de regarder la composition classique d’un moût de bière sur le schéma ci-dessous. Contrairement aux autres souches de la gamme Fermentis, les souches maltose-négatives ne peuvent fermenter que le glucose (DP1, chaînes de sucres simples), l’équivalent de 10 à 15 % des sucres totaux du moût. S’il y a moins de sucres fermentables, la production d’alcool sera plus faible dans la bière finale.

low alcohol yeast selection

Ensuite, l’étape suivante consistait à vérifier notre hypothèse avec un protocole d’essai, comme l’explique Simon : « Nous avons commencé par le début : une recette. Cette recette devait produire un moût classique à une densité standard de 15, 10, 8 et 6°P (1061, 1040, 1032 et 1024 en densité spécifique), fermenté à 20 °C (68 °F). Elle a ensuite été fermentée avec toutes les souches sélectionnées, et la consommation de sucre et la production d’alcool ont fait l’objet d’un suivi précis. Enfin, une dégustation par un panel d’experts nous a permis de choisir la souche gagnante, celle qui, en plus d’être capable de produire des boissons faiblement alcoolisées, fournirait les arômes essentiels attendus dans la bière lors d’une bonne fermentation. » De plus, cette levure produit des « bières propres » sans les notes indésirables que l’on trouve couramment dans les NAB.

La souche que nous avons sélectionnée après avoir reproduit de nombreuses fois ce protocole d’essai est Saccharomyces chevalieri, que nous avons nommée SafBrew™ LA-01, LA signifiant simplement Low Alcohol (peu d’alcool). Nous avons choisi cette souche, car elle présentait d’excellents résultats pendant nos essais de fermentation, tel que démontré ci-dessous. Pour chaque densité testée, la fermentation a atteint son plateau après 60 heures pour un degré d’alcool compris entre 0,4 et 1,2 %, soit un degré de fermentation apparent d’environ 14 %. Nous avons constaté une corrélation positive entre le degré d’alcool final et la densité initiale du moût, ce qui nous permet de dire qu’une densité initiale de 7 °P (1028 en densité spécifique) est idéale pour atteindre un degré d’alcool de 0,5 %, ce qui est le maximum toléré dans de nombreux pays pour écrire « bière sans alcool » sur l’étiquette.

SafBrew LA-01 Fermentation trial

Comme précisé précédemment, il s’agit d’une souche maltose-négative, elle ne consomme que des sucres simples (glucose, fructose, saccharose) laissant derrière elle le maltose et d’autres sucres complexes, comme le maltotriose et les dextrines. En toute logique, on trouve plus de sucres résiduels dans notre bière à faible teneur en alcool. Le graphique ci-dessous le confirme avec des chiffres ; DP2 désigne les disaccharides qui sont principalement du maltose et DP3 les trisaccharides qui sont principalement du maltotriose.

SafBrew LA-01 sugar consumption
Nous avons vu que d’un point de vue purement scientifique, SafBrew™ LA-01 nous permet de brasser des bières NAB-LAB, mais qu’en est-il du profil sensoriel de la bière elle-même ? Il s’agit d’une question légitime, car on ne trouve pas un niveau aussi élevé de maltose résiduel dans les bières « classiques ». Le maltose est un sucre capable d’apporter une « douceur propre ». Dans la plupart des bières, il n’a pas la possibilité d’exprimer son potentiel car il est transformé en alcool et en CO2 par les levures. C’est donc l’alcool qui va principalement apporter cette perception de rondeur et de douceur en bouche. Dans une NAB-LAB, le maltose résiduel peut jouer ce rôle car l’alcool n’y est présent qu’en petite quantité. Toutefois, si vous avez des doutes sur le niveau de douceur dans votre bière finale, vous pouvez facilement l’équilibrer avec divers outils de brassage, comme nous l’explique Simon : « Le niveau d’amertume joue un grand rôle, et tout ce qui est supérieur à 15 IBU pour 0,5 % de degré d’alcool est un bon objectif pour équilibrer le niveau de douceur. Augmenter la dureté de l’eau entraîne également une amertume plus prononcée. Du côté des céréales, limitez l’utilisation des malts caramel et la saveur sucrée qui va de paire. Pour un équilibre parfait, il faut bien sûr prendre en compte l’acidité. Vous pouvez pré-acidifier votre moût avant la fermentation, ou procéder à une plus forte carbonation avec le dioxyde de carbone qui lui est associée, qui propulse également l’arôme. »

Autre point important lorsqu’on parle de profil sensoriel, SafBrew™ LA-01 est une souche POF+. Si elle est classée positive (+), c’est parce que SafBrew™ LA-01 possède un gène qui exprime le caractère POF, POF signifiant phenolic off flavour (note phénolique). En d’autres termes, cette levure possède une enzyme spécifique qui décarboxyle les acides phénoliques, tels que l’acide férulique et l’acide coumarique, présents dans le moût et produisant ainsi respectivement les composés d’arômes actifs 4VG et 4VP. Ces composés contribuent à des saveurs épicées, semblables à celles du clou de girofle, qui, selon la concentration, peuvent produire un caractère épicé et complexe. Notez que dans une NAB-LAB brassée avec SafBrew™ LA-01, le côté phénolique sera très léger, comme le décrit Simon : « D’un point de vue sensoriel, nous avons réellement apprécié la légère expression phénolique développée. N’oubliez pas que l’expression d’un caractère POF dépend de la quantité d’acide férulique présente dans votre malt. Dans une NAB-LAB, vous n’aurez donc qu’une expression limitée de la quantité de malt recommandée. »

Et pour finir, qu’en est-il de la pasteurisation ? La pasteurisation est une technique inventée en 1865 par Louis Pasteur pour conserver les aliments en tuant tous les micro-organismes vivants dans le produit. En théorie, c’est un procédé plutôt simple : vous chauffez le produit entre 62 et 88 °C (144 à 191 °F) avant de le refroidir brutalement. La pasteurisation est peu appréciée dans le secteur de la bière artisanale, car elle est liée à la standardisation du produit ou parce que, avec ce procédé, la bière n’est plus vraiment « vivante » et n’évoluera pas avec le temps.

Mais en ce qui concerne notre recommandation pour la NAB-LAB, la pasteurisation est obligatoire. Comme vous le savez à présent, les levures et les micro-organismes aiment le sucre, et une grande quantité de sucres résiduels reste dans une NAB-LAB à la fin de la fermentation. Sans pasteurisation, les micro-organismes vivants pourraient éventuellement fermenter le maltose et altérer totalement la bière, voire créer une surcarbonation dans les bouteilles, ce qui pourrait être dangereux. Il existe différentes techniques de pasteurisation, comme la flash pasteurisation ou la pasteurisation en tunnel. Quelle que soit la technique choisie, Simon nous explique la quantité à pasteuriser : « Dès que vous aurez atteint votre DFA maximal de 13-15 %, il sera important d’empêcher les éventuels micro organismes vivants de continuer à fermenter. Nous avons étudié différents niveaux de contamination croisée avec Saccharomyces cerevisiae et observé une limite minimale de sécurité de 80 PU afin d’empêcher la croissance dans un brassin fermenté avec SafBrew™ LA-01. Nous recommandons 80 à 120 PU. » PU signifie Unités Pasteur, et 1 PU équivaut à chauffer à 60 °C pendant une minute. Voici la formule pour calculer votre niveau de pasteurisation :

PU= t x 1,393 (T-60)

Où t est le temps de chauffage en minutes et T est la température en °C

Il n’existe pas vraiment d’alternative à la pasteurisation, qui reste la meilleure technique pour assurer la microbiologie optimale d’une bière. Nous savons que cette technique n’est pas accessible à tous les brasseurs et, comme l’explique Simon, nous sommes constamment à la recherche de solutions pour les petites brasseries : « Fermentis a conscience qu’un tel équipement est réservé aux grosses brasseries. C’est pour cela que nous travaillons sur des alternatives pour permettre aux brasseurs artisanaux d’atteindre des performances optimales dans la fermentation de bières NAB-LAB savoureuses avec notre SafBrew™ LA-01. Ces alternatives passent par des méthodes intrusives (biotechnologie) ou non (chaîne du froid). N’hésitez pas à nous contacter pour en savoir plus et recevoir des conseils sur mesure sur la fermentation des NAB-LAB et les bonnes pratiques d’hygiène. »

Simon Jeanpierre, Hugo Picard

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