Arnaud DELAHERCHE¹, Etienne DORIGNAC¹, Maryam EHSANI¹, Marie Charlotte COLOSIO², Richard MARCHAL³, Thomas SALMON³, Yann VASSEROT³
¹ Fermentis, Marquette lez Lille France
² Institut Français de la Vigne et du Vin, Nantes France
³ Université de Reims Champagne Ardenne, Reims France

Prise de mousse with

Contexte


Le marché des levures sélectionnées pour produire des vins mousseux, contrairement à celui destiné aux vins blancs, est plutôt limité et se compose de souches à forte vigueur fermentaire produisant de faibles concentrations de composés aromatiques. Bien que les vins mousseux millésimés soient reconnus pour leur qualité, le marché exige aujourd'hui, à la différence des décennies précédentes, des vins mousseux clairement caractérisés par leur grande fraîcheur et des sensations plus fruitées.
La prise de mousse est l'étape qui permet à un vin de base de devenir mousseux ou pétillant. Le succès de cette technique dépend en grande partie de la préparation de la culture des levures. Le pied-de-cuve permet d'obtenir suffisamment de cellules de levure pour garantir une prise de mousse optimale. Sa préparation nécessite généralement plusieurs étapes sur plusieurs jours.
Cet article résume trois années d'essais qui ont permis de sélectionner une nouvelle levure pour vins mousseux. Ses caractéristiques fermentaires ont permis d’optimiser le protocole existant pour la préparation du pied-de-cuve.
Les résultats démontrent qu'avec SafOeno™SPK 05 (nom commercial de cette levure sélectionnée), le temps de préparation du pied-de-cuve peut être abrégé passant de 3 à 4 jours et deux étapes à une seule étape d'environ 30 à 36 heures, sans affecter la durée ni la qualité de la prise de mousse.

Introduction


Le marché des levures sélectionnées pour l'élaboration des vins blancs est composé d'un grand nombre de références reflétant la grande variété des vins produits. Depuis des décennies, on connaît le rôle des levures sélectionnées dans l'expression du profil sensoriel d’un vin en fonction des cépages, des méthodes et des techniques de vinification utilisées.
En revanche, pour les vins mousseux et pétillants, la gamme de levures commercialisée est plus limitée. Ces levures se caractérisent par des qualités fermentaires indéniables et, en général, par leur faible impact sensoriel sur le vin, voire nul. Cette caractéristique permet une meilleure expression des arômes tertiaires issus de l'autolyse des levures qui apparaissent au cours de l'élevage.

Bien que la qualité de ce type de vin mousseux soit reconnue et appréciée par de nombreux consommateurs, le marché exige aujourd'hui, à la différence des décennies précédentes, aussi des vins mousseux caractérisés par une plus grande fraîcheur et des sensations plus fruitées.
Pour produire un vin mousseux, le vin de base doit subir une seconde fermentation appelée prise de mousse ou refermentation. Cette technique nécessite la préparation d'un pied-de-cuve contenant un grand nombre de cellules de levure capables de consommer tous les sucres fermentescibles ajoutés au vin de base et de les transformer en alcool et en dioxyde de carbone. La qualité du pied-de-cuve est fondamentale pour la réussite de la prise de mousse qui peut avoir lieu en bouteille selon la méthode traditionnelle, ou en cuve close, en autoclave, selon la méthode Charmat ou Martinotti. Cependant, au fil des années, de nombreux producteurs ont exprimé des préoccupations quant à la longueur du protocole de préparation du pied-de-cuve classique et à la nécessité de surveillance constante du processus, au détriment de leurs jours de repos.
Cette étude, fruit de trois années d'expérimentations, a conduit à la sélection d'une nouvelle souche qui permet d'obtenir des vins mousseux répondant aux exigences des consommateurs modernes, en aidant les producteurs à simplifier la préparation du pied-de-cuve, tout en maintenant des standards élevés à la fois sur la qualité et sur la sécurité des fermentations.


Matériels et méthodes


Sélection des souches : de multiples essais de fermentation et de refermentation ont été réalisés en Champagne, lors de 3 campagnes de vinification (2019, 2020 et 2022), à l'échelle pilote en conteneurs de 15 litres et à l'échelle réelle en cuves de 20 – 130 hL de moûts de Pinot noir (cuvées) obtenus à partir de raisins sains. Les moûts présentaient des teneurs en azote assimilable (YAN) de 240 à 280 mg/L et des teneurs potentielles en alcool de 9,95 à 11,05 % (vol.).
Dans un premier temps, des essais de fermentation ont été réalisés en laboratoire et en cave sur 5 sites de vinification différents dans l'Aube et la Marne. Cinq souches ont été prises en considération : trois souches expérimentales, candidates à la sélection et non présentes sur le marché, et deux souches commerciales. Les vinifications expérimentales ont été réalisées en double et comprenaient une modalité témoin fermentée avec une souche champenoise disponible dans le commerce.
Des tests de prise de mousse ont ensuite été réalisés pour comparer la nouvelle levure sélectionnée aux deux souches commerciales couramment utilisées pour la préparation des pieds-de-cuve en Champagne. Dans ces essais, le protocole traditionnel proposé par le Comité Interprofessionnel de Champagne (CIVC)(1) a été appliqué pour la préparation du pied-de-cuve.
Toutes les levures ont été inoculées à 1 million de cellules levures viables/mL. La quantité de cellules viables a été déterminée par comptage cellulaire dans une cellule de Thoma avec du bleu de méthylène. Le tirage a été réalisé sans ajustement de l'azote assimilable, avec 20 g/L de sucre de canne et un adjuvant de remuage, en bouteilles en verre type Champagne de 750 mL. Douze bouteilles ont été réalisées pour chaque essai, dont trois équipées d'aphromètres permanents. Toutes les bouteilles ont été placées dans une pièce à température contrôlée de 13 °C pour la refermentation et la pression a été contrôlée deux fois par semaine.
Optimisation du protocole de préparation du pied-de-cuve
Considérant les caractéristiques technologiques de la levure observées lors des premiers tests de fermentation et de prise de mousse, la possibilité de préparer un pied-de-cuve dans un laps de temps plus court, sans la phase d'acclimatation requise par le protocole traditionnel, a été évaluée. Les principaux métabolismes de S. cerevisiae , à la fois du carbone et de l'azote, ont été étudiés.
Les vins de base ont été ajustés avec du phosphate diammonique pour obtenir trois niveaux de azote assimilable : 520 mg/L (N520), 400 mg/L (N400) et 280 mg/L (N280). Les sucres, l'azote assimilable, le nombre de cellules viables et la pression ont été surveillés selon les méthodes décrites ci-dessus.

Champagne material & methods - Fermentis

Résultats et discussions


Le processus de sélection : les tests de vinification
Les figures 1a et 1b illustrent la cinétique de fermentation de la nouvelle levure sélectionnée (souche B) comparée à une souche couramment utilisée en Champagne. Lors des vinifications en laboratoire et en cave, la souche expérimentale B a démontré une cinétique de fermentation beaucoup plus rapide que les autres souches utilisées. Cette observation est principalement due à une phase de latence plus brève. En effet, toutes les fermentations se sont déroulées sans laisser de sucres résiduels.

Figure 1
Figure 2


Figures 1a et 1b. Cinétique de fermentation à partir de deux essais de fermentation différents sur deux jus différents. Comparaison entre la souche expérimentale B (Fermentis) et une souche commerciale de Champagne.


Dans tous les tests, la souche expérimentale B s'est distinguée par sa grande capacité à commencer et à terminer la fermentation alcoolique en peu de temps. De plus, les caractéristiques suivantes ont été observées dans l'analyse des vins de base obtenus avec cette souche :


  • Excellente adaptation aux faibles pH (2,95-3,15 dans ces tests).

  • Faibles acidité volatile et production totale de SO 2 .

  • Acidité totale et niveaux d’acide malique légèrement inférieurs.

  • Niveaux d’azote α-aminé résiduel significativement plus élevés à la fin de la fermentation.


D'un point de vue sensoriel, les vins de base produits à partir de cette souche ont été décrits comme suit :


  • Nez expressif, caractérisé par un fruité fin avec des notes de fruits rouges très agréables, de pêche, d'abricot et d'agrumes comme le pamplemousse, typiques du Pinot noir.

  • En bouche, le vin apparaît frais, avec une bonne acidité, rond, souple, avec d'agréables notes sucrées, légèrement tannique en finale et une bonne longueur.


Considérant sa grande capacité fermentaire, sa faible production de SO2 et d'acidité volatile, ses besoins en azote assimilable inférieurs aux autres souches testées, ainsi que les caractéristiques sensorielles obtenues dans les vins de base, la souche B a été sélectionnée pour les essais de prise de mousse.
Le processus de sélection : le test de prise de mousse
Les premiers essais de prise de mousse ont été réalisés en utilisant le protocole traditionnel de préparation d'un pied-de-cuve et en comparant la levure expérimentale sélectionnée avec deux souches commerciales couramment utilisées pour la préparation de pieds-de-cuve en Champagne.
Toutes les prises de mousse ont été réalisées avec succès malgré la faible teneur en azote assimilable et la faible température de refermentation (13 °C).
Les vins mousseux obtenus ont été dégustés après 13 mois d'élevage sur lies (à 13 °C) par un jury de dégustation composé de chefs de cave, d'œnologues et de personnels du laboratoire œnologique de l'URCA. Les commentaires du panel ont été les suivants :


  • Perlage fin, mousse légère et très agréable avec formation d'un beau couronne de bulles.

  • Nez frais et élégant avec des notes de fraise, de brioche, d'amande, de fleurs blanches et des notes fumées.

  • Bouche vive avec une attaque ferme et agréable et une effervescence discrète. Vin fin et équilibré avec une légère astringence en finale, une bonne longueur et un fruité persistant sans notes fermentaires. La bouche est légèrement sucrée avec une finale équilibrée, un caractère légèrement évolué de fruits confits le rendant prêt à la consommation.


Les caractéristiques des vins mousseux obtenus avec cette souche peuvent être résumées comme suit : arômes fruités et frais, sensations minérales et bonne persistance, mousse fine, pour des vins mousseux prêts à être consommés.
Préparation du pied-de-cuve
Le protocole traditionnel (Fig. 2) proposé par le Comité Interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC) dure en moyenne 3 à 5 jours et se compose de deux étapes : une phase d'acclimatation et une phase de multiplication .

Protocol details

Figure 2 : Protocole traditionnel de préparation du pied-de-cuve utilisé pour la refermentation des vins mousseux.


pied-de-cuve classique : phase 1 acclimatation
On estime qu’il faut 6 à 10 heures pour que la densité initiale du milieu d’acclimatation diminue d’une valeur initiale de 1040 g/cm3 à des valeurs comprises entre 1025-1015 g/cm3. Les résultats de cette étude illustrent que cette diminution se produit sur une période plus longue. Le suivi de la densité, illustré à la Figure 3a, montre qu'avec une teneur moyenne en azote assimilable de 400 mg/L (N400), il faut 12 à 22 heures pour atteindre une densité de 1025-1015 g/cm3.
Le suivi des sucres fermentescibles et de l'azote assimilable est illustré dans les figures 3b et 3c. Dans un pied-de-cuve classique, préparé avec 100 g/L de sucres et 400 mg/L d'azote assimilable (N400), environ 57 g/L de sucres (modèle linéaire) et 207 mg/L de azote assimilable (modèle logarithmique), après 17 heures d'acclimatation, n'ont pas encore été consommés par la levure.

Figure 3
Figure 4
Figure 5

Figures 3a, 3b et 3c : pied-de-cuve – Phase 1 acclimatation. Contrôle de la densité, des sucres fermentescibles et de l'azote assimilable.
Autrement dit, à la fin de la phase d'acclimatation, environ 50 % des concentrations initiales en sucre et en azote assimilable sont restées dans le pied-de-cuve, ce qui garantit une marge de sécurité et l'obtention d'un pied-de-cuve capable de se multiplier activement même lors de l'ultérieure phase de multiplication. Même en préparant un pied-de-cuve avec une concentration initiale en azote inférieure à 30 % et égale à 280 mg/L (N280), des résultats similaires ont été observés, ainsi la teneur en azote à la fin de la phase d'acclimatation reste suffisamment élevée. Ces observations seront prises en compte ultérieurement lors de la préparation d’un pied-de-cuve sans phase d’acclimatation.
pied-de-cuve classique : phase 2 multiplication
La phase de multiplication dure généralement 2 jours mais peut durer plus longtemps. Au début de la phase de multiplication, la densité recommandée est comprise entre 1015 et 1025 g/cm3, tandis que la densité finale au moment de l'inoculation du vin de base est comprise entre 998 et 995 g/cm3. Durant cette phase, une agitation délicate et continue, ou bien un ou deux remontages par jour sont nécessaires.
La composition du pied-de-cuve classique au début de la phase de multiplication présente généralement une teneur en sucre de 84,5 g/L et une teneur en azote minéral d'environ 100 mg/L.
pied-de-cuve sans phase d'acclimatation : composition initiale
Dans un pied-de-cuve conventionnel, la population de levures n'augmente que d'un tiers au cours des 24 premières heures d'acclimatation, alors que pendant les 6 à 10 heures estimées nécessaires, l'augmentation est beaucoup plus faible. Dans le but d'obtenir une population cellulaire comparable à celle obtenue avec le protocole conventionnel, avec un protocole de préparation du pied-de-cuve en une seule étape de seulement 30-36 heures (sans acclimatation), un pied-de-cuve a été préparé comme suit :


  • 9 kg de LSA/1000 hL de vin de base, soit 9 g de LSA/hL pour un taux d'inoculation de 3 % (vol.).

  • 84 g/L de sucres, simulant la concentration en sucre en début de phase de multiplication d'un pied-de-cuve classique.

  • 100 mg/L d'azote minéral simulant l'azote assimilable en début de phase de multiplication d'un pied-de-cuve classique.

Protocol 2

Figure 4 : protocole pied-de-cuve sans acclimatation (36 heures) pour l'inoculation de 1000 hL de vin de base.
pied-de-cuve classique et pied-de-cuve sans acclimatation : évolution des paramètres
Les deux méthodes de préparation des pieds de cuve ont été comparées en termes de populations de levures, de sucres, de densité et d'azote assimilable. Les tests ont été réalisés en double.
Le pied-de-cuve sans phase d'acclimatation a donné lieu à une population de levures viables de 110 millions de cellules/mL en 30 à 36 heures (Fig. 5a). Avec ce nombre de cellules, une inoculation de seulement 1 % (v/v) dans le vin de base est nécessaire pour obtenir une concentration cellulaire de 1,1 million de cellules viables/mL. Ce qui équivaut à utiliser environ 4 à 5 g de LSA par hL de vin de base.

living cells/ time graph
living cells/ time graph
yeast-assimilable-nitrogen
density over time graph

Figure 5: Comparison of the two YSC preparation protocols. YSC with acclimatization (B1 and B2 – duplicates) and without acclimatization phase (B3 and B4 – duplicates). Monitoring of live yeast population (Figure 5a), sugar content (Figure 5b), mineral nitrogen (Figure 5c) and density (Figure 5d).

In the YSC without an acclimatization phase, the decrease in sugar content was continuous and regular and did not show a slowdown (Fig. 5b). After approximately 30 hours, the YSC without an acclimatization phase had a sugar level of 50 g/L and a density of 1010 g/cm3 (Fig. 5d), which allows the yeasts to continue to multiply in the case where the YSC must be maintained for several hours, even a whole day, before the inoculation of the base wine.

Regarding YAN, we observe a regular decrease in its concentration in the YSC without acclimatization, unlike the classic protocol which shows a sudden drop in YAN when the yeast enters the multiplication phase (Fig. 5c). For the classic two-phase protocol, lasting 72 hours, the medium becomes deficient in YAN after 60 hours, whereas with the YSC protocol without an acclimatization phase, 30 mg/L of YAN remain after 36 hours. It is therefore essential to pay a particular attention to this parameter because a nitrogen deficiency can lead to a strong reduction in yeast activity, cell multiplication speed and fermentation kinetics.

The results of these tests show that it is entirely possible to prepare a YSC in a single step and in less than half the time of the conventionally used protocol.
To evaluate the behaviour of the yeasts obtained with a YSC protocol without an acclimatization phase, two PDMs were started, one at 14°C and the other at 18°C (Fig. 6). The fermentation kinetics of the newly selected strain (strain B) was similar to that recorded with the commercial Champagne strain (Fig. 6). Although there was a slight longer lag phase with the PDM carried out at 14°C with strain B, the fermentation kinetics were almost identical and made it possible to reach 5 bars of pressure simultaneously with the Champagne strain in approximately 20 days at 18°C and in approximately 40 days at 14°C.

Champaign-strain-18-degrees
Champaign-strain-14-degrees


Figure 6 : suivi de la pression des bouteilles pendant le pied-de-cuve, à 18°C et 14°C, à l'aide d'aphromètres permanents.

Conclusion



Ces travaux ont permis, au cours des premières années d’expérimentations, de sélectionner une nouvelle levure Saccharomyces cerevisiae, commercialisée sous le nom de SafOenoTM SPK 05, capable de conférer aux vins mousseux les caractéristiques sensorielles recherchées par les consommateurs modernes. De plus, compte tenu des caractéristiques fermentaires de cette souche, une proposition technique innovante a été réalisée pour la préparation du pied-de-cuve, qui démontre comment le processus couramment utilisé peut être simplifié sans compromettre le résultat de la prise de mousse. La réduction du temps de préparation du pied-de-cuve de plusieurs jours à 30-36 heures donne aux producteurs une plus grande liberté dans l'organisation de leur travail, accélère la disponibilité des cuves de multiplication de 50 % et, d'un point de vue environnemental, contribue à réduire les coûts énergétiques en cave.
Le projet a été réalisé grâce à la contribution de plusieurs caves champenoises qui ont collaboré à l'organisation et à la mise en œuvre d'essais à l'échelle de la production.
Des tests pilotes sont en cours dans plusieurs caves pour valider la qualité sensorielle des vins mousseux produits avec ce protocole, qui sera suivi sur plusieurs années.