Comment définiriez-vous les arômes variétaux / fermentaires ?
Les arômes variétaux, parfois appelés arômes primaires, proviennent de composés aromatiques présents dans les raisins. Ces arômes sont généralement typiques de cépages spécifiques (thiols dans le Sauvignon Blanc, le Colombard, le Petit & Gros Manseng, terpènes dans le Muscat et le Gewürztraminer…).
En revanche, les arômes fermentaires – également appelés arômes secondaires – sont principalement produits par les levures lors de la fermentation alcoolique et peuvent être retrouvés dans tous les types de vins. Les arômes fermentaires les plus courants sont les esters – comme l’acétate d’isoamyle responsable de la saveur de banane – et les alcools supérieurs comme le 2-phényléthanol caractérisé par des notes de rose.
Quelle est l’influence des levures sur le profil aromatique du vin ?
Sur le profil aromatique du vin, les levures ont un impact considérable sur l’expression aromatique du vin : outre leur effet direct sur les arômes fermentaires, elles participent indirectement à l’expression des arômes variétaux en produisant des enzymes qui vont transformer les précurseurs aromatiques du raisin en arômes réels du vin.
Prenons l'exemple des 3 principaux thiols présents dans les vins : le 4MMP (arôme d'herbe/buis), le 3MH (arômes d'agrumes) et le 3MHA (arômes de fruits exotiques). Ces molécules sont toutes aveuglées par la cystéine ou le glutathion contenu dans le raisin, ce qui les rend inodores. L'action de la levure est nécessaire pour éliminer la partie cystéine/glutathion et libérer les thiols expressifs dans le vin.
J'AIME VRAIMENT TRAVAILLER SUR L'EXPRESSION AROMATIQUE DU VIN CAR IL Y A TOUJOURS BEAUCOUP À APPRENDRE SUR CES ASPECTS.
Quel type de profil aromatique privilégient les vignerons aujourd'hui ?
Aujourd'hui on ne peut pas vraiment définir un profil aromatique privilégié par les producteurs je dirais que cela dépend du potentiel du terroir et du marché de consommation visé par le vigneron. D'une part les profils fermentaires sont toujours plébiscités pour les vins faciles à boire et à libération rapide. En France, les producteurs de Gamay Primeurs du Beaujolais ou de Chardonnays du Languedoc recherchent généralement des profils fermentaires.
Avantages : ils peuvent être obtenus avec n’importe quel cépage, même à des rendements élevés.
Limite : leur expression a tendance à diminuer après quelques mois en bouteille.
D'autre part, les profils variétaux sont de plus en plus tendance notamment les profils thioliques dans les vins blancs et rosés premium. Par exemple, les producteurs de Sauvignon Blanc du Val de Loire ou de vins rosés de Provence sont particulièrement intéressés par les profils thioliques. Sans oublier la vallée du Rhin, où les producteurs allemands ont un fort intérêt pour l'expression terpénique de leur Gewürztraminer et de leur Riesling.
Avantages : les profils variétaux apportent des notes fraîches et complexes au vin
Limite : ils nécessitent des cépages spécifiques et sont sensibles à l'oxydation.
Comment aidez-vous les vignerons à optimiser l’expression aromatique de leurs vins ?
Nous avons mené de nombreux essais depuis 10 ans pour caractériser finement chaque souche de levure Fermentis, tant en conditions expérimentales que sur le terrain. Ces essais ont montré que certaines souches de levures comme CK S102 ou NDA 21 libèrent plus de thiols et d'esters que d'autres souches dans les mêmes conditions. Nous avons également été surpris de constater que BC S103 pouvait produire beaucoup d’esters, bien que nous ayons toujours considéré cette souche comme un S. bayanus neutre. C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles il est si populaire dans les vins blancs du Languedoc. Sur la base de ces résultats, notre responsable R&D a construit un tableau d’aide à la décision pour aider les vignerons à choisir la bonne souche en fonction de leur objectif aromatique.
En parallèle, nous avons travaillé sur des protocoles adaptés à des types de vins spécifiques (« Sauvignon Blanc frais et fruité », « Chardonnay fermenté en barrique »…) avec des lignes directrices concernant le choix des souches de levures, la température et la gestion de la nutrition des levures. En effet, plusieurs essais et études montrent que la température impacte profondément le profil aromatique. Si vous souhaitez maximiser l’expression thiolique dans les blancs et les rosés, je recommanderais de démarrer la fermentation à une température assez élevée (18 – 20°C pendant 3-4 jours) pour favoriser le 3MH puis de refroidir à 14 – 15°C pour favoriser la conversion en 3MHAc. Si vous souhaitez maximiser la production d’esters, je vous conseille de démarrer directement la fermentation à basse température (14 – 16°C). Dans le cas des Rosés, vous pouvez également jouer sur le niveau de clarification pour favoriser les thiols ou les esters.
Nous essayons également d’aider nos clients dans la gestion de la nutrition des levures, souvent négligée par les vignerons et pourtant si cruciale pour le profil aromatique de leurs vins. En fonction du taux d'azote assimilable dans leur moût et des exigences de la souche de levure qu'ils sélectionnent, nous pouvons leur proposer un programme d'ajout d'azote avec les meilleurs temps d'ajout pour optimiser l'expression des thiols ou des esters. Nous pouvons conseiller nos clients sur le meilleur compromis entre azote minéral et organique, sachant que l'azote organique (autolysats de levures) est bénéfique à la production d'esters. Il est important de mentionner que les esters volatils et les thiols participent tous deux au profil organoleptique du vin, et certaines études de dégustation à l'aveugle suggèrent que les profils aromatiques préférés dépendent du rapport ester/thiols. Alors entre les profils variétaux et fermentaires, tout est question de trouver le bon équilibre. Comme beaucoup de choses, ce n’est pas noir ou blanc, mais plutôt gris.
Personnellement, j’aime beaucoup travailler sur l’expression aromatique du vin car il y a toujours beaucoup à apprendre sur ces aspects. C'est beaucoup plus complexe que de mener une fermentation à son terme : tellement de paramètres peuvent intervenir (climat, cépage, levures, nutrition, procédé…) qu'il est impossible de prédire exactement le résultat aromatique. La meilleure façon d'apprendre est d'essayer dans des conditions de vinification contrôlées et de déguster sans idée préconçue. J’ai été surpris plus d’une fois : le vin rend humble !